Matinée,
Du premier jour,
De la onzième semaine.
Oc' se délassait comme un chat.
Entièrement nu et encore sale de la nuit d'amour qu'il venait de passer, il prenait le soleil devant la fenêtre, ouverte en grand par ses soins. La lumière de la fin de la matinée inondait le corps cuivré du jeune vagabond, qui s'étirait avec une lenteur jouissive. La vie ne se refusait pas à lui, ces derniers temps, il était bien forcé de le reconnaître. S'assouplissant avec indolence dans l'une de ces maisons bourgeoises qui jouxtaient le quartier commerçant, il profitait du manque de tendresse d'une jeune matrone et de l'absence de son mari pour dormir sous un toit. Et entre les bras jaloux d'une maîtresse chaleureuse.
Le jeune garçon avait pris la mauvaise habitude de séduire toutes les jolies femmes qui pouvaient lui offrir un foyer pendant les longs séjours d'hiver qu'il passait loin des forêts de son Totem. Jouant de son sourire enjôleur pour qu'on lui ouvre les portes des demeure, le petit garçon n'avait pas tardé à comprendre que l'innocence disparaissait peu à peu de ce sourire, lequel, de plus en plus, laissait place à un il ne savait quoi de désarmant qui lui ouvrait également les bras de ses hôtesses généreuses. L'hiver pouvait se montrer si cruel, et les maisons semblaient si chaudes de l'extérieur !
Mais l'hiver se terminait à présent, et l'Erastide, la frontière naturelle de la froide saison se rapprochait à grands pas. Le printemps renaissait, faisant place aux chaudes journées, aux courtes nuits et, à nouveau, au vagabondage ! Il jeta un regard exalté à son amante. Terrassée par la fatigue d'une nuit qui avait longtemps dédaigné le sommeil, il pouvait contempler son dos nu et la rondeur de ses galbes blancs. Son corps d'albâtre constrastait avec les draps pourpres (une petite fortune !) du lit qui l'avait accueilli pendant près d'une semaine. Dame Isia avait quasiment deux fois son âge. Comment un gamin avait-il pu l'hypnotiser à tel point qu'elle le garde constamment dans sa couche ? Oc', lorsqu'il errait avec les autres enfants des routes, émettait la théorie selon laquelle toutes ces jeunes mères, à qui l'on arrachait trop tôt leurs fils, cherchaient un exutoire à leur tendresse. Une tendresse qui se transformait vite en passion. Car les jeunes mères, clouées sur la croix du mariage, étaient aussi frustrées par leurs maris, qui ne restaient jamais vraiment les amants fougueux que quelques rares élues avaient pu connaître. La routine prenait le pas. Et alors Oc' venait frapper à la porte.
Alors qu'il s'était détourné de la jeune mère pour la lumière du quasi-zénith tout en faisant craquer sa nuqe avec une délection que venait renforcer l'habitude de ce petit rituel, il entendit la porte du rez de chaussée s'ouvrir en fracas et une lourde voix, pleine d'une joie vulgaire, crier.
"Isiaaaa ! Je suis rentrééé !" Le mari de Dame Isia, un itinérant, un mercier faisait sa fortune par le voyage et les absences, était, en effet, rentré. Le tumulte sourd qui s'élevait d'en bas laissait présager que les compagnons du marchand, des cousins, des frères et son fils, l'avaient suivi jusque chez, comptant sûrement sur le mari pour leur offrir un festin digne des Hommes, non pas cette tambouille que mangeaient les druides !
Une flamme dans les yeux, le regard d'Oc' s'était tourné vers Dame Isia qui s'était levé en sursaut et tentait tant bien que mal de remettre sa chevelure d'un rouge flamboyant en ordre. Cette maîtresse du foyer, pendant cette semaine de fête s'était laissé aller à une indolence coupable, se contentant du strict minimum quant aux tâches ménagères. La séduisante matrone cherchait des vêtements à mettre. Elle n'avait plus rien d'immobile, et lorsqu'elle ne tâtonnait pas frénétiquement les tas de tissus qui s'était amoncelé pendant toute cette semaine, elle jetait des regards suppliants à son amant.
Ca finissait souvent comme ça. Trop souvent, pensait Oc', qui lui adressa un regard peiné et bascula sa tête sur un côté comme le ferait un chaton cherchant quelque appitoiement de la part de son maître. L'imitation qu'il faisait de sa maîtresse était cruelle en cela qu'elle était pleine d'à propos. L'espiègle garçon n'insista pas et, entendant les lents pas du mari dans l'escalier de bois, il pressa même le pas. Se saisissant des quelques frusques qui lui appartenait, il mit tout autour de son cou et se plaça dans l'embrasure de la fenêtre.
Les deux amants s'admirèrent un ultime instant, elle dans la pénombre à moitié habillée et encore fraichement ébouriffée, lui entièrement nu, baignant dans le soleil de midi. La porte de la chambre s'ouvrit en grand, laissant apparaître un solide gaillard à la bouille joyeuse quoi que crottée par un long voyage. La figure riante de l'homme disparut.
"Eh bien ? Qu'y a-t-il ? Pourquoi me fais-tu une tête pareille ?" s'enquit le mari, étonné par le regard rempli d'effroi de sa femme. Celle-ci jeta un coup d'oeil vers la fenêtre. Le jeune vagabond avait disparu. Elle souffla sans le vouloir, tandis que son mari, ne prêtant guère attention à ce que faisait sa douce et tendre, observait d'un air intéressé le corps à demi-dénudé et la chevelure indomptée de la mère de ses enfants.
"Oh... toi !" se contenta-t-il de dire tout en se débraillant avec brutalité.