3ème jour de la 8ème semaine
An 835.
Crépuscule.
Le territoire des Ombres est Terre hostile, flanquée de sommets escarpés et enneigés, battue par les Vents et livrée en maints endroits à la fureur des Eléments. Rien ne saurait changer cet état de fait et Hilja devrait en faire les frais durant la chevauchée qui la menait vers l’Ouest des Montagnes Infernales. La neige tourbillonna sans cesse, redoublant de force la seconde journée, tant et si bien que le petit groupe - formé par la Prêtresse, deux acolytes qui devaient parfaire leurs connaissances en magie et deux soldats affectés à leur garde – remerciait sincèrement la parcelle de forêt qu’ils traversaient de les protéger quelque peu. En plus de leur offrir un raccourci appréciable, sans lequel leur voyage eut été rallongé d’un jour supplémentaire.
Eviter autant que possible les dangers qui guettaient par delà la frontière des terres de l’Est, voilà qui était le crédo de sa garde rapprochée momentanée. Bien qu’elle n’en laissait rien paraître, Hilja ne prenait guère de plaisir à leur compagnie. Les soldats n’étaient pour elle rien d’autre que des rustres, violents et trop portés sur la bouteille, dont la fréquentation ne pouvait amener que déception à quiconque aspirait à moins… de bassesse dans la satisfaction de ses instincts. Et malheureusement, ces deux là ne faisaient guère mentir son jugement. Bien que celui-ci fût tout à fait dénué d’objectivité, pour une fois. Trop de mauvais souvenirs, relayés par les paroles de sa mère et de ses frères durant son enfance, étaient rattachés pour la jeune femme au statut de militaire. Son père. Ne les avaient-ils pas abandonnés pour sa carrière ? Elle plus que tous les autres d’ailleurs, puisqu’il mourut l’année de sa naissance, sans qu’elle n’eut pu connaître cet homme, qu’elle aurait peut-être appris à comprendre.
Pauvre enfant, ne sais-tu pas que l’Ignorance est parfois le plus grand bienfait ?
Comment le pourrais-tu, toi qui arpente les sentiers de la Connaissance.
Tu devrais pourtant n’avoir aucun regret.
S’il s’était trouvé quelqu’un pour lui murmurer telles paroles et si elle avait connu Áed Väinämöinen par elle-même, Ô combien les aurait-elle trouvées sensées, pleines de vérité. Mais le passé ne saurait être changé et ainsi, c’est avec certaines réserves qu’elle supportait la présence de gardes armés. Il lui fallait quérir une herbe spécifique afin de concevoir un charme de protection pour le futur nouveau souverain du peuple des Ombres et la plante ne poussait que du côté Ouest de la chaîne montagneuse. L’on avait refusé que les femmes se rendent seules à cheval en territoire étranger. Le mot ennemi n’avait absolument pas été prononcé. Grand dieux non ! Mais le peuple Orthodoxe n’avait jamais non plus été ami du sien, loin s’en faut.
Les voisins s’observaient de loin la plupart du temps, depuis des temps immémoriaux. Etait-ce seulement la fragile Paix - aujourd’hui brisée - qui les empêchaient de se sauter à la gorge pour se massacrer ? Ou les Êtres sont- parfois réellement capable de bon sens ? Les temps à venir répondraient sans nul doute à cette anxieuse interrogation qui avait toujours été sienne. Les redoutables Mages protégés de Thor seraient-ils alliés ou ennemis déclarés des siens dans le conflit qui se préparait ?
Le fossé se creuserait ou se comblerait-il ?
Même la bien-aimée de Snotra ne pouvait s’avancer quant à la direction que prendrait la roue du Destin pour les peuples du Gwendir. Elle en conçut un malaise grandissant à mesure que la troupe pénétrait plus avant en ces terres. Le second jour, ils arrivèrent en Iboa et se rendirent - sur la demande d’Hilja – directement aux portes du Temple dédié à Thor.
Si la protection de bras de chair armés l’agaçait, il n’en allait pas de même pour celle des Dieux qui était de la plus haute importance à ses yeux. Rien d’étrange en cela, elle était Prêtresse et suivait les voies de la Déesse depuis des années. En rien la jeune femme, qui entra dans le sanctuaire tête nue comme il sied à ces lieux, n’espérait la bénédiction du Dieu sur eux. Seulement voulait-elle lui présenter ses respects afin de ne pas attirer son courroux. Seule, silencieusement agenouillée devant l’autel, elle s’adressa pieusement à lui en son nom et celui de Snotra, treizième des Ases et égale du maître de la Foudre.
Alors qu’elle se relevait et pivotait pour regagner la sortie, des pas résonnèrent dans la nef. Un religieux s’approcha d’elle et se figea un instant, les yeux écarquillés de stupeur lorsqu’il les posa sur elle. Hilja n’avait certainement pas réalisé la pâleur surnaturelle qui était la sienne ce jour là. Fatiguée par le voyage et n’ayant eut que peu le loisir de veiller à sa santé pour cause de deuil et de préparation d'un couronnement dans sa contrée, elle était exsangue. Affamée aussi. La faim se rappela subitement à elle quand son regard saisit l’inquiétude dans les yeux de l’homme. Les siens passèrent en un éclair du noir le plus profond au bleu le plus clair, ce qui n’eut pas pour effet de rassurer le patriarche, bien au contraire. Elle prit plusieurs profondes inspirations pour se calmer. Le bleu glacier de son regard fondit lentement, comme neige au soleil et l’ébène regagna ses prunelles. Elle parla la première, dans le court dialogue qui les impliqua ensuite tous deux :
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Veuillez accepter mes hommages, serviteur de Thor. Je me nomme Hilja et suis la Voix de Snotra. Je suis venue présenter mes dévotions à votre Guide, puisqu’en ses Terres je suis entrée.-
Votre attitude vous honore et me ravi. Mais nos Terres auront également un nouveau dirigeant de chair. Avez-vous songé à lui présenter de même vos respects ?-
Cela va de soi. Je pensais me rendre au Palais dès mes prières achevées. Les Dieux au dessus des hommes, c’est pourquoi je vins ici en premier lieu., mentit avec aplomb la Prêtresse de Snotra. Bien sûr que non, elle n’y avait pas songé et ne l’avait pas un instant désiré. La seule Loi qu’elle respectait sincèrement était celle des Divinités. Si elle se pliait à celle des hommes, ce n’était que par nécessité. Le religieux acquiesça d’un signe de tête et lui demanda de patienter un petit moment. Avait-il été dupe ? Aucun moyen de le dire. Toujours est-il qu’il revint et lui remit un parchemin scellé de cire et portant le sceau du Temple.
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Une recommandation pour un audit auprès du Prince Erendil, ajouta-t-il.
Munie du rouleau, toujours flanquée de sa garde et ses disciples chevauchant à ses côtés, Hilja atteignit le Palais à la nuit tombée. Les prières à Thor n’avaient apparemment pas été vaines. A en juger par l’air méfiant et inhospitalier des gardes aux portes de la résidence royale, même en s’annonçant comme Prêtresse de Snotra et en prouvant son identité, il n’était de loin pas certain qu’elle fut bien traitée. Encore moins autorisée à entrer.
Ses gardes et les deux jeunes apprenties furent priés de rester à l’extérieur. C’est seule, encadrée par trois masses de muscles et de métal, que sa silhouette portant encore les couleurs du deuil (pour une fois se déplaçait-elle dans une autre tenue que la robe et la cape argentées rituelles) fit ses premiers pas dans le hall débordant de luxe du Palais. On la mena à travers un dédale de couloir. Hilja n’eut que le temps d’apercevoir les somptueuses tapisseries et autres richesses qui habillaient ici la pierre et en cachaient, selon elle, la noblesse.
Un porte de bois massif et sculpté s’ouvrit devant elle, puis se referma. Deux des gardes demeurèrent devant tandis que le troisième la surveillait dans l’antichambre. On avait fait mander sa Majesté lui dit-on, puis on la pria de patienter. Sans anxiété, mais avec une pointe d’appréhension –ayant ouï maintes rumeurs parmi les habitants croisés durant le voyage à propos du personnage qu’elle s’apprêtait à rencontrer – la Prêtresse préféra rester debout bien qu’on lui offrit un siège pour rendre l’attente plus agréable.
… Et le Temps parut s’écouler une Eternité durant dans le grand sablier ...