Onzième semaine, année 835
Jour deux, tôt le matin.
« Que dois-je faire ? », Soupira le garçon sous le poids des questions relatives à sa nouvelle fonction.
Que devait-il faire pour être digne de son poste, comment faire ? Cela faisait une semaine que ce genre d’interrogation venait danser dans l’esprit du capitaine ombre. Le monde devenait bien différent contemplé depuis le siège de capitaine des dragons. Amano avait l’impression d’entrer dans un monde qu’il n’avait pu qu’imaginer dans ses heures de fantasme les plus folles et bien qu’il ne soit pas du genre couard il fallait bien reconnaître que cela avait quelque chose d’effrayant. Il sentait qu’il avait besoin de conseils avisés d’une personne de confiance, alors deux jours plus tôt il avait fait porter un message par l’un de ses hommes à son maître. Leur rendez-vous était fixé pour cette matinée.
Stell ne devait plus tarder, Amano observait l’extérieur à travers une des fenêtres de son bureau et voyait ses hommes se hâter dans tous les sens pour reprendre leurs activités, car l’entraînement de la matinée était terminé. Certains rentraient les chevaux alors que d’autres affûtaient leurs lames à l’aide de pierres à aiguiser. Amano sourit, ensuite parcouru du regard la vaste salle constituant son bureau. Cette salle était simple mais harmonieuse et élégante, on pourrait même dire luxueuse, cela dû probablement au fait que la plupart de ses prédécesseurs furent nobles. Les riches et puissants nobles, Amano portait en lui une sorte de léger dégoût envers ces personnes, car lui qui avait combattu sa vie entière pour arriver où il en était trouvait leur arrogance injuste et déplacé pour des gens à qui tout fut donné depuis la naissance.
Minutes après minutes le soleil gagnait en altitude baignant petit à petit le royaume dans sa douce et réconfortante lumière. Une petite pile de document attendait patiemment sur le bureau que le capitaine daigne y jeter un œil. Soudain on frappa à la porte :
- Entrez ! S’exclama Amano toujours debout devant la fenêtre les yeux rivés sur l’extérieur.
- Mes respects, mon capitaine ! S’écria le sergent en se mettant au garde à vous.
- Ah c’est vous sergent, vous venez pour votre rapport c’est cela ?
- Oui monsieur !
- Bien, repos ! Prenez place je vous prie.
Le sergent se relâcha, ensuite marcha jusqu’au bureau où il prit un siège tandis que le capitaine ombre fit de même en quittant son point d’observation. Le rapport était un petit rituel quotidien pendant lequel le sergent San Nefryl venait faire l’exposer des affaires courantes du royaume, afin de garder son supérieur informé et par conséquent près à agir si le besoin se faisait sentir. Lorsque le sergent eut fini de s’exprimer Amano inspira profondément en passant la main dans ses cheveux puis dit ceci :
« - Pour ce qui est du ministre enfermé chez les humains, nous ne pouvons rien faire à notre niveau, nous ferions mieux d’attendre les ordres d’en haut. Malgré tout je dois reconnaître que toute cette histoire est bien folle et ce fameux criminel a au moins le mérite d’être inventif.
Par contre, la présence de patrouilles impériales ainsi que l’activité grandissante des groupes séditieux sur nos terres est intolérable. Nous allons y remédier. »
Amano se leva, marcha vers une commode et en tira une carte militaire du royaume qu’il déplia sur la table. La carte représentait le royaume des ombres, divisé en secteurs, il y en avait une dizaine. Amano observa la carte en réfléchissant aux ordres qu’il devrait donner pour détruire le petit germe d’anarchie qui semblait vouloir pousser sur les terres du seigneur Terinfiel. Il susurrait imperceptiblement ses pensées sous l’œil attentif de Nefryl.
Ensuite les deux hommes discutèrent pendant une heure de la meilleure chose à faire, par la suite le capitaine dit ceci :
« - Voilà de quoi mettre mes dragons à l’épreuve, dans chacun des secteurs je veux deux unités de patrouille en permanence, nous changerons de patrouilles tous les trois jours. »
Amano espérait qu’en augmentant la surveillance du territoire la paix du royaume serait renforcée. Il écrivit un décret afin que l’ordre devint actif, ensuite le donna au sergent qui salua respectueusement son supérieur et quitta la salle.
Quelques instants plus tard on frappa de nouveau à la porte, Nefryl pénétra une fois encore dans le bureau.
- Mon capitaine, quelle attitude devra tenir nos hommes en cas de rencontre avec des soldats de l’empire ?
Amano croisa les bras en répondant.
- Que ce soit clair ! Nous ne sommes pas en guerre avec les humains. Avec la tension actuelle la moindre bavure de notre part pourrait mettre le royaume en grand danger. Alors, si nos soldats croisent des humains ils ne devront absolument pas combattre sauf s’ils sont victimes d’une attaque.
- Bien monsieur !
Le sergent prit congé, mais comme il s’en allait on apportait Stell, celui que le capitaine attendait depuis un bon moment déjà. L’amazone pénétra avec une petite cage en osier dans la main. Amano se leva puis alla accueillir l’homme qu’il conduit vers un siège confortable avant de s’asseoir lui-même.
- Maître. Révéra honorablement l’ombre.
- Bonjour petit, je t’ai apporté ceci, je l’ai capturé pour toi.
Amano remarqua alors le petit animal au pelage sombre recroquevillé dans la cage, il s’agissait d’un jeune lycaon qui si l’on se fiait à la taille ne devait pas avoir plus de trois mois.
Le capitaine remercia son hôte pour le cadeau ensuite exposa la raison pour laquelle il avait fait venir ce dernier. De l’entretien qu’ils eurent Amano retenu qu’il devait tout simplement gagner la confiance de ses hommes ainsi que leur amour, de cette manière ils deviendraient tous ensemble un corps uni et de ce fait puissant.
En début de soirée
L’Ombre tentait d’exécuter les premiers pas visant l’apprivoisement de celui qui deviendrait selon toute vraisemblance son nouvel animal de compagnie alors qu’il se trouvait dans son grand castel de fonction non loin des quartiers populaires. L’animal faisait de son mieux pour ne pas coopérer et cela commençait à irriter légèrement le garçon, qui allait bientôt être rejoint par une fille de la ville qu’il fréquentait depuis quelques jours déjà.
La femme franchit la porte, elle était voluptueuse et surtout belle comme la lune, Amano l’appréciait beaucoup pour ses talents les plus intimes, car l’ombre qu’elle était maîtrisait l’art de noyer les hommes dans le bonheur le plus parfait.
Après une longue scène câline, le capitaine en sueur pénétra dans un bain qui lui avait été coulé préalablement quand soudain on tambourina vivement à la porte de sa chambre, ce qui effraya son hôtesse ainsi que son animal. Amano sauta hors du bain et se drapa dans une sortie de bain de lin brodée. Il se dirigea vers la porte, l’ouvrit ensuite on lui rapporta une nouvelle qui sabota profondément le bien-être dans lequel il se trouvait.
- Mon capitaine…mon capitaine ! Dit un soldat haletant.
- Reprend ton souffle mon garçon. Répondit Amano en portant sa main à l’épaule du dragon.
- Un groupe de rebelles a sauvagement saccagé deux villages à l’Est près de la frontière avec les amazones.
A cet instant un élan de colère incontrôlable s’empara du capitaine et il ne put s’empêcher de penser à la terreur que ces populations avaient ressenti. Combien furent brutalisés, violés, pillés durant ces actes de barbaries pures ! Amano n’écoutant que son cœur donna l’ordre que l’on rassemble une centaine d’hommes prêts au combat sur le champ, car il comptait lui-même se rendre compte de la situation. Il referma sa chambre et fini de s’essuyer ensuite revêtit son équipement de combat. Avant de quitter le manoir il ordonna aux gardes qui resteraient de s’occuper du petit lycaon et renvoya la femme chez elle, alors qu’elle lui criait son inquiétude de le voir partir ainsi, car elle pressentait le danger et ne voulait pas sa mort.
Amano lui était résolu et avait déjà adopté le masque impassible du guerrier qui s’en va au combat. Bien sûr comme toujours avant un combat l’appréhension se faisait sentir, mais il avait un devoir et comptait bien l’accomplir, lui qui était de ceux qui devaient veiller sur la paix à l’intérieur du royaume.
Environ une heure s’écoula le temps de rassembler les vivres et les hommes à l’extérieur des murs de la ville, Amano rejoignit ses troupes en chevauchant Tordem son puissant destrier noir.
Il regarda ses hommes rangés en ligne, parmi eux beaucoup ignoraient ce qu’il se passait malgré cela ils étaient tous prêts à partir et s’il le fallait, combattre et mourir. De son côté leur chef se demandait combien d’entre eux ne reviendraient pas ? Combien resterait sur le sol et ne se relèverait pas ? Mais il fallait qu’ils affrontent l’ennemi coûte que coûte, ils devaient faire ce pourquoi ils étaient des guerriers, à savoir la guerre.
- Soldats ! Des villages ont été attaqués à l’Est alors nous irons à l’Est et nous massacrerons l’ennemi quel qu’il soit ! Au nom du roi !
A la mention de ce bref discours la clameur des soldats frappant contre leur boucliers fit frissonner la montagne et ses forêts, Amano était heureux, car son bataillon était gonflé de courage et de force et le lui faisait sentir. Il leva ensuite le bras et ordonna la marche qui durerait certainement plusieurs heures, mais selon lui ils devaient rallier les lieux des attaques quelques heures avant l’aube.
Ainsi le bataillon Ombre commença en pleine nuit sous l’œil vigilant de Snotra son périple vers le champ de bataille et la souffrance.