Le Capitaine revint à sa place juste au bon moment pour ne pas manquer la reprise de la pièce. La deuxième partie démarra sur les chapeaux de roues avec la transformation en animal des deux protagonistes qui se disputaient la Reine. S'ensuivit un combat fort bien mené et très réaliste devant les yeux impuissants de Lewyllana qui se demandait, certainement, à quoi tout cela rimait. Elönia était persuadée qu'elle n'allait pas tarder à intervenir pour arrêter ce massacre. C'est alors que le Capitaine lui posa une drôle de question qui manqua de lui faire faire un bon sur son fauteuil. Ce dernier sous-entendait des choses presque vexantes à l'égard de sa cadette...

« Ciel vous avez raison ! Cela peut paraitre louche en effet. Il va falloir que je lui dise de faire plus attention, même si je ne doute pas que la rencontre de ce soir a été fortuite. Il n'y a absolument rien entre eux, fort heureusement. Je crois juste que Nuran lui fait pitié. Elianä a tendance à croire qu'il y a du bon en chacun d'entre nous et elle a voulu être son amie. Je ne veux pas dire par là que votre Général est un mauvais bougre, mais comme vous dites, nous connaissons tous deux son caractère. Je ne m'inquiète pas outre mesure, ce n'est pas un imbécile complet. Frère de sa majesté ou pas frère de sa majesté, il sait très bien qu'il y a des limites qu'il ne doit pas franchir, du moins je l'espère.»

Reportant son attention sur la pièce, Lewyllana venait (enfin !) d'intervenir, après que Lothik ait porté un coup qui semblait mortel à Jareid. Ce dernier venait de reprendre sa forme humaine et semblait se mourir dans les bras de la Reine qui le suppliait de ne pas trépasser. Le prêtre de Mani arriva alors pour soutenir la Reine, qui ne voulait pas lâcher le corps du défunt, lorsque le pendentif, qu'elle portait autour du coup, se mit à briller de mille feux. La scène devint alors sombre et les seuls bruits qui s'en échappèrent furent celui d'un chant, qui semblait être celui de Lewyllana. Il était triste, témoin de la souffrance de la Reine qui venait de trouver celui qui aurait pu être digne d'elle, de Mani, comme s'il s'agissait de sa réincarnation. Seulement, la chanson et le noir étaient un peu trop longs au goût d'Elönia qui voulait surtout savoir si Jareid allait s'en sortir... Il ne restait plus qu'à patienter...

« Et puis, Elianä n’est pas sotte ! D’autant plus qu’elle se désintéresse de ce genre de choses. Enfin… »

La jeune femme se remémora alors la discussion qu'elle avait eue un soir avec elle. Sa cadette lui avait assuré qu'elle prendrait, sans rechigner, le mari que ses parents auront choisi pour elle, comme la fille bien docile qu'elle était. Mais d'un autre côté, Elönia ne pouvait s'empêcher de se remémorer non plus ce maudit enterrement chez les Elfes qui s'était déroulé ce matin même. Si le Capitaine n'avait pas été là avec elle, la jeune femme se serait certainement mis une claque. Il fallait qu'elle arrête de s'inventer des histoires stupides à la fin ! Sinon, elle allait vraiment réussir à gâcher sa fin de soirée. Il n'y avait rien entre sa sœur et le Roi, c'était stupide de penser à des choses comme ça pour la simple et bonne raison qu'ils se sont regardés une ou deux fois bon sang ! A croire qu'Elönia aimait se tourmenter l'esprit pour des âneries...

«Vous me préviendrez si jamais vous entendez des choses désobligeantes concernant ma sœur dans vos rangs ? Histoire d'être certaine que Nuran ne se vante pas d'exploits imaginaires auprès de ses hommes. Il ne manquerait plus que cela tient !»

La noble restait, tout de même, persuadée qu'il n'irait pas jusque-là. Ce qu'Elönia ne comprenait pas, par contre, c'était pourquoi l'air avait été aussi électrique lorsqu'elle était arrivée pour rejoindre le petit trio. Il y avait eu une tension dans l'air qui était immanquable et qu'elle ne pouvait expliquer. Les jalouseries de Lady Fanel'Za certainement.

« J'espère également ne pas vous avoir mis dans l'embarras tout à l'heure. Je sais bien que Nuran est votre supérieur, mais je n'ai pas pu me retenir ! Heureusement, ces derniers temps il me fiche la paix, mais il peut être très lourd par moment. C'est pour cela que je suis heureuse qu'il ait jeté son dévolu sur Lady Fanel'Za... mais combien de temps cela va-t-il durer ? Allez savoir... »

La chanson de la Reine se termina alors, avant que la scène soit de nouveau mise en lumière.

Qui aurait pu croire que la voix de Mani surgirait de nulle part pour mettre un terme aux larmes de la Reine qui semblaient ne plus vouloir s'arrêter ? Qui aurait pu croire, que le Dieu de la lune redonnerait la vie à ce courageux jeune homme en échange de l'un des cinq sens de sa majesté ? Qui aurait pu croire qu'elle accepterait ?

Que venait-il de se passer dans la tête de Lewyllana pour qu'elle accepte une telle proposition ? Qu'est-ce qui avait changé ? Venait-elle de comprendre que son caprice était bien irréaliste ? Venait-elle de voir ô combien le monde était peuplé d'hommes merveilleux prêts à l'aimer ? Et que cela était bien plus important que le fait de voir ou entendre ? C'était au spectateur d'en décider, car la réponse n'était pas explicitement donnée. Le rideau tomba lourdement et définitivement une fois la cécité de Lewyllana connue et la promesse de fidélité du chevalier qui venait de revenir de l'autre monde pour la servir. Ce qui faisait tout le charme de cette pièce était décidément l'effet de surprise et la perte de vue de l'héroïne qui arrivait alors que personne ne s'y attendait.

Il y eut d'autres surprises dans la salle, notamment Nuran qui congédia Lady Fanel'Za qui n'avait pu accepter que son chaperon prête main-forte à Elianä face à ce rustre qui l'avait abordé bien brutalement. Ainsi, le Capitaine et l'aînée d'un côté, la cadette et le Chef des Armées de l'autre, purent rejoindre leurs domiciles respectifs sans avoir à croiser de nouveau l'autre binôme. Raccompagnant la jeune femme qui leur avait été confiée, un sourire échangé pouvait laisser croire qu'Elianä réussirait peut-être à pardonner l'attitude un peu désagréable de Nuran à son encontre, mais qui avait pourtant su redevenir un chevalier servant au bon moment. De l'autre côté, on pouvait croire que les deux jeunes gens ne tarderaient pas à se revoir, la soirée partagée étant considérée comme agréable par les deux parties.

Dans les deux cas, personne ne regrettait finalement la venue en ce lieu merveilleux qu’était le théâtre… Quoi que…