L'ambiance qui n'était auparavant pas joyeuse vira dans le morbide le plus total, après le départ du souverain Ombre. Pour la première fois qu'Elianä avait un souhait pour lequel elle était prête à se brouiller avec la terre entière, elle ne faisait pas mieux que d'être consignée comme une enfant à rester à demeure, jusqu'à ce que la situation se dénoue tout au moins. La suite restait assez obscure, malgré les ordres qui avaient été donnés.
Le temps de se calmer, Elianä l'avait passé seule, sans autre compagnie que le discret tic-tac d'une pendule qui égrenait les secondes à ses oreilles. Jusqu'à ce que ce son, aussi insignifiant soit-il, ne l'énerve au plus haut point. Jamais sujette au colère, Elianä semblait y être de plus en plus assujettit depuis qu'elle avait posé les pieds chez les Humains. Elle s'était alors décidée à faire la seule chose que n'importe qui d'autre aurait jugé stupide (et qui l'était assurément) : elle s'était changée, troquant sa tenue beaucoup trop habillée par une autre robe moins imposante, la plus bonne marché (si c'était possible) qu'elle possédait dans ses placards à moitié vide, prête qu'elle était à quitter la cité depuis la semaine précédente. Puis, aussi normalement que si elle se trouvait à Eray, avait demandé à un garde de l'accompagner et était sortie.
Se changer les idées, c'était l'idée, sans mauvais jeu de mots. Personne n'avait trouvé à y redire, elle n'avait donné à personne l'occasion de dire quoi que ce soit même. Que l'Ombre la suive ou non, ce n'était pas son problème. Mais quand elle croisa l'inconnue, étrange que cela paraisse, Elianä ne souhaita pas divulguer sa véritable identité. Paranoïa consécutive à un enlèvement dirait surement un éminent médecin. Simple précaution vous direz Elianä. Qui savait quelles rumeurs couraient parmis la populace ou la noblesse humaine ? Car au premier coup d'œil, Elianä était certaine de dire que l'humaine était de noble extraction, peut-être même pas humaine du tout, elle en était certaine.
Paume tendue devant elle en l'universel signe de paix autant que de salut dans son cas, Elianä se présenta après l'injonction :
- Kaelia Riwen, pardonnez le dérangement mademoiselle.
Elianä ne fit pourtant pas demi-tour, pour laisser à sa tranquillité la jeune fille, plus intéressée par la perspective d'un moment sans avoir à penser à ce qui devait se passer en ce moment même à la Tour Sombre. Son esprit était entièrement tendu vers Morzan, tellement que ça en devenait douloureux, une blessure béante et purulente sans remède connu. Beaucoup de choses dépendaient de cet entretien avec le Parjure.
La jeune Ombre afficha un vaillant sourire, tout en remarquant les parchemins. Elle s'approcha de quelques pas de la demoiselle pour demander, d'un ton délibérément trainant, espérant plutôt se faire passer pour une petite bourgeoise que pour une noble de haute naissance :
- Vous travailliez sur ses parchemins ?