1er jour de la 8e semaine
an 835
Sale.
Il faisait un temps sale, décidément.
Le jour pointait à peine sur les monotones plaines de Fazor, et vu ce qu’il y avait à éclairer, Thea décréta avec une moue boudeuse qu’il aurait mieux fait de rester caché.
On était en plein hiver, mais les rigueurs climatiques et les bourrasques continuelles n’impressionnaient apparemment pas le crachin fin, insidieux, tiédasse, de ceux qui s’infiltrent sous les tuiles et sous les cœurs, qui ternissaient en cette aube la seule vision enchanteresse qui eut pu adoucir la femme qui le contemplait les sourcils froncés, abritée sous l’auvent de l’écurie royale.
D’un coup de pied rageur, Thea envoya une pierre rouler un bonjour à la pluie. Ca tombait bien, elle ne devait surtout pas être douce, aujourd’hui. Et elle le maudissait.
Ce temps sale depuis la veille, boueux, qui n’avait laissé se propager l’odeur de la chair en putréfaction aux travers de ses gouttes, qui avait étouffé les cris des corbeaux se régalant de leur mets; qui avait, enfin, lavé le sang suintant des plaies des trois cadavres qu’elle avait découvert après plusieurs heures de vaines recherches, ne leur autorisant même pas leur dernière parure écarlate, pour les laisser patauger dans une boue brunâtre, semblable à leurs propres déjections. Elle réprima un juron et un frisson de dégoût.
NAram.
Tamara.
Ann.
Aucune n’avait mérité une fin comme celles-ci, aucune.
Perdue dans ses pensées, elle s’accroupie contre le mur, le menton dans une main, promenant au hasard son regard fatigué sur la terne plaine, sur les dentelles des tours du château,obscures sous un soleil hésitant encore dans sa course vers l’ouest – ce château même à l’intérieur duquel elle avait elle-même rassemblé son bataillon et choisit trois éclaireurs pour vérifier la frontière Ouest - légèrement derrière elle, sur la galerie sombre, semblant sans fin, des box alignés de l’écurie militaire, sur ces trois box vides de chevaux qu’elle n’avait pu retrouver…Puis, tout près d’elle, s’étirant sous son regard dans la pâleur grisâtre des jours de meurtre, Zalibé, une épaisse lame noire, martelée d’à-coups diverses,
brisée et irisée d’éclats écarlates ayant survécu à l’averse.
Zalibé, qui avait sans aucun doute fatalement glissé d’une caresse habile sur la tendre gorge de Naram,
Zalibé, qui la tête la première avait foncé du corps encore frêle de Tamara,
Zalibé, dont le manche sertit de rubis s’était impitoyablement abattu sur la tête pourtant bien pleine d’Ann,
Zalibé….Dont elle connaissait le propriétaire.
Un mercenaire. Un brillant mercenaire, devait-elle avouer, une lame acérée toujours au service du plus offrant -Ardiosis avait du y aller de son argent, le bougre !-
Sans foi, ni loi….Mais surtout sans but.
Il avait tué pour elle autrefois.
Avait partagé ses victoires, ses banquets, sa chambre quelquefois, mais surtout, à la lueur vacillante des bougies de confidence, cette solitude qui l’oppressait tant, cette lassitude d’une vie trop terne et trop tranquille, cette peur de se voir dans l’autre, l’autre dans lui, et de laisser partir vivante cette irréfutable preuve de sa non-unicité
Et tout ce partage pour cela, enfin, déjà, car elle l’avait toujours su. Toute cette proximité de cœur pour qu’il saigne, pour une somme dérisoire, peut-être, trois de ses meilleures, guerrières ; d’une approche qu’elle imaginait sourde, par derrière, de mouvements rapides et furtifs, de riposte surprise, d’un combat à la déloyale, déshonorant, sale…. Sale comme cette foutue pluie qui refusait de faire SILENCE !!
Thea se prit la tête entre les mains, cette dernière grondant de concert avec sa flambante colère, en une centaine de pulsations de vie lui brûlant les tempes.
Son murmure, étouffé par ses poignets devant ses lèvres, parvint néanmoins à s’élever jusqu'à ses propres oreilles, en un constat qui refroidit instantanément sa colère.
« C’est dangereux, un homme qui s’ennuie. »Elle songea un instant aux conséquences pratiques de cette barbarie : l’encre qui lui manquerait pour remplir les parchemins de décès, le cœur qui lui manquerait pour les familles à prévenir.
Les familles…
La jeune femme se releva lentement.
Aller voir les familles, oui, les informer, faire son devoir….Mais pas tout de suite.
« Tout homme dangereux, doit être abattu.»Le pommeau de sa propre épée attira son regard un instant, éclatant de lumière opposé à la lame sombre à ces pieds.
Déjà à ses pieds.
Déjà vaincue.
Il fallait agir vite.
Un bruyant reniflement dans son dos la fit se retourner d’un bond, pour faire face à la grosse tête bosselée du cheval dans le box derrière elle. Un inconnu. Robe de jais et liste blanche, l’œil vif, bien proportionné.
Théa eu une pensée pour Gash, resté dans son écurie personnelle, loin…Bien trop loin pour qui veut partir vite et sans se faire remarquer.
Sa décision était prise.
Elle effleura distraitement les naseaux du cheval à sa porté, jeta un œil sur le nom indiqué sur sa plaque, et partit sans un bruit chercher son harnachement à la sellerie.
Le crépitement des gouttes sur les pavés s’unissait sans discordance à celui de son cœur impatient
Oui, c’était un temps parfait pour une sale vengeance…
Un bruit soudain lui fit tourner la tête comme le reste, la main déjà sur la garde de son arme,
Elle scruta l’ombre, aux aguets.
[pas taper pour la longueur, pas taper pour le délire psychologique siouplait ^^]